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Raspoutine

Raspoutine

Né le : 21 janvier 1869

Lieu de Naissance: Pokrovskoïe (Russie)

Source : wikipedia

Raspoutine

Grigori Efimovitch Raspoutine, par la suite Raspoutine-Novyi (en russe : Григорий Ефимович Распутин-Новый), probablement né le 21 janvier 1869 dans le village de Pokrovskoïe, est un pèlerin, soi-disant mystique et guérisseur russe. Il devint le confident d'Alexandra Feodorovna, épouse du tsar Nicolas II, ce qui lui permit d'exercer une forte influence au sein de la cour impériale russe, jusqu'à son assassinat, à Saint-Pétersbourg, dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, à la suite d'un complot fomenté par des membres de l'aristocratie.

Originaire des confins de la Sibérie, il se présentait comme mystique errant, et se prétendait starets. À cause de la religiosité naturelle au peuple russe, on le surnommait parfois le « moine fou ». Aucune source ecclésiastique n’atteste néanmoins son incorporation à un quelconque ordre religieux ; mais Raspoutine se plaisait à l'affirmer. En revanche, il fut à plusieurs reprises suspecté d'appartenir à la secte des khlysts. L'hypothèse la plus généralement retenue est qu'il fut surtout un aventurier, se présentant comme pèlerin itinérant, doté d'un grand pouvoir de séduction.

En 1907, Raspoutine, qui s'est acquis une réputation comme guérisseur, est pour la première fois invité par le couple impérial au chevet de leur fils Alexis, leur unique garçon et l'héritier du trône, atteint d'hémophilie. Ce n'est que plus tard, durant le règne du tsar, que Raspoutine serait devenu un personnage influent, en particulier après septembre 1915. On a pu prétendre que Raspoutine avait participé à jeter le discrédit sur la famille impériale, et qu'il constitua l'un des éléments qui causèrent la chute des Romanov. La tsarine et sa famille ont pu le considérer comme un guérisseur, un mystique, voire un prophète, mais ses ennemis le voyaient comme un charlatan débauché, mû par un appétit sexuel démesuré, voire comme un espion.

Certaines zones d'ombre subsistent concernant la vie et l'influence de Raspoutine, ce que l'on sait de lui étant souvent basé sur des témoignages partiaux, en partie alimentés par la propagande anti-monarchiste, des rumeurs et des légendes.

Alors que le personnage a longtemps été diabolisé, bon nombre de personnes en Russie ont aujourd'hui de lui une opinion moins défavorable. Quoi qu'il en soit, un véritable mythe s'est construit autour de Raspoutine qui, de nos jours encore, continue à inspirer écrivains et artistes.

La plupart des archives ayant été détruites, même l’année de naissance de Grigori Raspoutine est sujette à caution. Selon la Grande Encyclopédie soviétique, il serait né en 1864 ou 1865. Certains ont pu soutenir que « Raspoutine » était un surnom, issu de l’adjectif russe « распутный » (« raspoutnyi »), signifiant à l'origine « débâcle » (la fonte des eaux après le dégel), puis « débauché ». Toutefois, dans une biographie, l’écrivain et historien russe Edvard Radzinsky affirme que les archives officielles de Tioumen, en Sibérie, contiennent un recensement des habitants de Pokrovskoïe qui mentionne clairement le nom de « Raspoutine », qui serait donc son vrai nom. En 1995, l’historien russe Oleg Platonov se pencha sur la question à la demande du clergé et du métropolite Yoann, qui étaient désireux de tirer les choses au clair sur le mystérieux personnage. C'est ainsi que, l'année suivante, Platonov publia à Saint-Pétersbourg une étude consacrée au sujet6. Si presque tous les registres d’époque ont disparu, Platonov a tout de même pu mettre la main sur de nombreux renseignements relatifs aux baptêmes, mariages et décès dans le village de Pokrovskoïe entre 1862 et 1868.

Iefim Iakovlevitch Raspoutine et Anna Vassilievna Parchoukova, les futurs parents de Grigori Raspoutine, se marient à Pokrovskoïe le 21 janvier 1862, alors qu'ils sont âgés respectivement de vingt et vingt-deux ans. Le couple a plusieurs enfants qui, tous, meurent en bas âge : trois filles – Evdokia, née le 11 février 1863, une autre Evdokia, née le 2 août 1864, et Glikerya, née le 8 mai 1866 – et un garçon, Andreï. En 1868, les registres ne font mention d’aucune naissance dans la famille, ce qui voudrait dire que Grigori Raspoutine n’est pas né avant 1869.

Après 1868, il n'existe plus, apparemment, de registres consultables, mais ont toutefois subsisté certains formulaires originaux remplis à l'occasion d'un recensement de tout l'Empire. Le recensement de 1897 est soigneusement fait. Au nom de « Grigori Iefimovitch Raspoutine », il est mentionné que celui-ci était dans sa 28e année et son année de naissance est elle aussi indiquée : 1869. Il n’y a pas d'autre précision concernant sa naissance. Pour Yves Ternon, qui s’en tient à 1863 ou 1864 comme année de naissance de Raspoutine, il serait né « sans doute le dix janvier, jour que l’Église orthodoxe dédie à Grégoire de Nicée».

S’il est vrai que le nom de famille « Raspoutine » est bien mentionné dans certains registres, le nom de baptême du père de Raspoutine, Novykh (Новых), est également clairement indiqué. Par ailleurs, dans les archives consultées par Platonov, pas moins de sept familles du même village étaient appelées Raspoutine. L’historien rappelle alors qu’outre « débauché », le mot « raspout'e » signifiait également, à l’époque, « croisée des chemins » ou « carrefour », et était donc fréquemment utilisé comme surnom pour ceux qui habitaient de tels endroits9. De surnom, « Raspoutine » se muait souvent en nom de famille, ce qui fut probablement le cas avec la famille d'Iefim. Aujourd’hui encore, « Raspoutine » est un nom qui se rencontre en Sibérie.

Très religieuse, sa mère, Anna Vassilievna Parchoukova, et son père, Iefim Iakovlevitch Raspoutine, étaient fermiers dans le village sibérien de Pokrovskoïe, ouiezd de Tioumen, gouvernement de Tobolsk, à 2 500 km à l’est de Saint-Pétersbourg. Son père n'est pas un simple moujik, car il est propriétaire de sa ferme, de sa terre, de vaches et de chevaux. La légende veut que le 10 janvier 1869, un météore ait traversé le ciel au-dessus du village de Pokrovoskoïe, et ce phénomène annonçait, disait-on, la venue au monde d’un personnage exceptionnel. Une autre légende veut que son père, maquignon-voiturier, se soit occupé de chevaux avec lesquels il entretenait des rapports magiques. Dès son enfance, Raspoutine manifeste des dons de guérisseur et de voyant.

La vie était rude, l’existence rustique, la vodka une boisson courante, l’instruction existait peu dans les campagnes. Raspoutine n’apprit les rudiments de la lecture et de l’écriture qu’au cours de ses voyages, à l’âge adulte, mais certaines personnes lui trouvaient un pouvoir d’apaisement, voire de guérison, sur les animaux.

À la suite d'une chute accidentelle dans les eaux glacées d’une rivière alors qu’ils jouaient ensemble, son frère aîné, Andreï, et lui, qui s’est jeté à l'eau pour le secourir, sont victimes d’une pneumonie. Andréï meurt, mais Grigori guérit de sa fièvre ardente. Celui-ci traverse cependant des périodes de dépression et de surexcitation incontrôlables. Il aide son père dans les travaux de la ferme et conserve de cette enfance les manières frustes des paysans sibériens, les vêtements amples et peu soignés, et les mains calleuses.

Dès l’âge de seize ans, il est sujet à des crises mystiques et des apparitions mariales, à la suite de la vision d’un ange lumineux apparu dans la campagne. Il se plonge dans la lecture de la Bible, au point d’en devenir un exégète. Il pratique l’ascétisme : parfois, il reste trois semaines reclus dans la cave de son père et, lorsqu’il en ressort, les paysans vont au devant de lui pour recueillir ses oracles. Pendant quinze ans, il alterne la vie de paysan moujik au village et des retraites dans des monastères où il rencontre les starets pour suivre leur enseignement. Mais il fait aussi preuve de débordement d’énergie et de pulsions diverses, dont une sexualité débordante qu’il assouvit facilement.

En 1888, à l’âge de dix-neuf ans, il épouse une jeune paysanne du village de Doubrovnoïé, Praskovia Feodorovna. Cinq enfants naissent de ce mariage : Mikhail et Georguiï décèdent prématurément, Dimitri, né en 1895, Maria en 1898 et Varvara en 1900. Malgré de multiples incartades sexuelles, il revient toujours auprès de son épouse.

En 1894, alors qu'il travaillait dans les champs, il aurait eu la vision d'une Vierge lumineuse. Makari, un moine ascète à qui il en parle et qu'il considère comme son père spirituel, lui conseille d'abandonner son métier de fermier, de se plonger davantage dans la religion et de se rendre au mont Athos, en Grèce. Il part pour un voyage à pied de plus de 3 000 km qui dure plus de dix mois, mais il est déçu par les moines du mont Athos. Sur la route du retour, il fait halte dans de nombreux monastères et c'est plus de deux ans après son départ qu'il retrouve sa femme et son jeune fils Dimitri, né en 1895.

Cependant, il continue à vivre des périodes de mystique et d'ermite, parcourant la Sibérie occidentale et survivant grâce à la prédication, la charité et l'aumône, frappant aux portes des monastères et acquérant au fur et à mesure de ses pérégrinations une réputation de sage et de guérisseur : « Ce n'est pas moi qui guéris, c'est Dieu ».

Il effectue de nombreux pèlerinages, particulièrement à Kazan et à Kiev : les gens commencent à venir de toute la région pour écouter ses prêches. Le clergé orthodoxe s'inquiète de son succès, mais ne peut rien y trouver à redire. De plus en plus de fidèles viennent à ses réunions, amenant des malades sur lesquels il exerce ses talents de guérisseur. Sa réputation s'étend mais, en même temps, il continue une vie de débauché, de buveur, de bagarreur, de séducteur et même de voleur.

Durant toutes ces années, il entre en contact avec de multiples sectes qui fleurissaient sur le terreau de la religion orthodoxe. Il est notamment chargé d'accompagner un jeune moine au monastère de Verkhotourié, où il séjourne trois mois. Ce cloître est en réalité tenu par la secte des khlysts qui mêlent, par la danse, la flagellation (d'où leur nom de « flagellants ») et l'extase, l'érotisme et la religion… ce qui lui convient parfaitement. Son mysticisme devient doctrinaire et le conduit à l'élaboration d'obscures théories sur la régénération par le péché (son plus célèbre précepte est « Pour se rapprocher de Dieu, il faut beaucoup pécher ») et les excès en tous genres. Il aurait été un étudiant de cette secte, mais sans jamais y avoir été initié, y perfectionnant son don pour l'hypnose et la magie.

À l'invitation de la grande-duchesse Militza, qui l'avait rencontré à Kiev, Raspoutine se rend à Saint-Pétersbourg, capitale de l'Empire russe depuis le règne de Pierre le Grand. Le tsar Nicolas II règne depuis 1894. En cours de route, à Sarov, il assiste en 1903 à la canonisation du starets Séraphin de Sarov et, devant l'assistance réunie, Raspoutine entre en transe et prédit la naissance d'un héritier mâle au trône impérial. Le 12 août 1904 naît le tsarévitch Alexis, qui se révélera être atteint d'hémophilie.

Arrivé au printemps 1904 à Pétersbourg, Raspoutine demande l'hospitalité à l'évêque Théophane, inspecteur de l'Académie de théologie de la capitale, qui l'aide par des lettres de recommandation. Son but était de rencontrer Nicolas II, trop occidentalisé à ses yeux, pour l'initier à la véritable âme russe11. Son protecteur, le vicaire de Kazan, lui avait remis une lettre de recommandation destinée à l'évêque Sergui, qui s'inquiétait aussi de la « crise spirituelle qui minait la Russie ».

Conquis par Raspoutine, l'évêque le prit sous sa protection et le présenta à l'archevêque Théophane de Poltava, confesseur d'Alexandra Fedorovna, au père Jean de Cronstadt et à l'évêque Hermogène de Saratov. Tous furent stupéfaits de la ferveur religieuse de Raspoutine et de son talent de prédicateur. Ils le bénissent, le considèrent comme un starets, voire comme un « envoyé de Dieu », et l'introduisent auprès de la grande-duchesse Militza et de sa sœur la grande-duchesse Anastasia, filles du roi Nicolas Ier du Monténégro, mariées à deux frères, respectivement le grand-duc Peter Nicolaïévitch et le grand-duc Nicolaï Nicolaïevitch, cousins d’Alexandre III. Cependant, Raspoutine retourna dans son village sibérien et ne revint à Pétersbourg qu’en 1905.

La tsarine, longtemps inquiète de ne pas donner d'héritier mâle à la couronne, avait pris l'habitude d'attirer autour d'elle de nombreux mystiques, comme Maître Philippe ou Papus. Elle est séduite par Raspoutine, d'autant plus que Maître Philippe qui lui avait annoncé quelques années auparavant la naissance de son fils Alexis, lui avait également annoncé la venue d'un grand prédicateur qu'il avait nommé « Notre Ami »11. Une audition auprès de l'archiprêtre thaumaturge Jean de Cronstadt convainc ce dernier de l'authenticité des pouvoirs du starets.

Par l'entremise de la grande-duchesse Militza et de sa sœur, la grande-duchesse Anastasia, le « starets » est présenté à la famille impériale in corpore dans le palais Alexandre, le 1er novembre 1905. Il offre des icônes à chacun. Le tsarévitch Alexis souffrant d'hémophilie, Raspoutine demande à être conduit au chevet du jeune malade, lui impose les mains, lui raconte plusieurs contes sibériens et parvient ainsi, semble-t-il, à enrayer la crise et à le soulager. Selon certains, cela s'expliquerait par le simple fait que la médecine de l'époque ignorait les propriétés de l'aspirine qui était donnée au jeune malade. Ce médicament est un anticoagulant, facteur donc aggravant de l'hémophilie. Le simple fait de balayer de la table et de jeter les « remèdes » donnés au malade – dont l'aspirine – ne pouvait qu'améliorer son état.

Les parents sont séduits par les dons de guérisseur de cet humble « moujik » qui semblait aussi avoir celui de prophétie. Alexandra se convainc que Raspoutine est un messager de Dieu, qu'il représente l'union du tsar, de l'Église et du peuple et qu'il a la capacité d'aider son fils par ses dons de guérisseur et sa prière.

Sa réputation permet à Raspoutine de se rendre indispensable ; il prend très vite un ascendant considérable sur le couple impérial. Invité à de nombreuses réceptions mondaines, il fait la connaissance de nombreuses femmes riches. Raspoutine inquiète et fascine : son regard perçant est difficile à soutenir pour ses admiratrices, et beaucoup cèdent à son charme hypnotique et le prennent pour amant et guérisseur.

L'une d'entre elles, Olga Lokhtina, épouse d'un général influent mais crédule, devient sa maîtresse, le loge chez elle et le présente à d'autres femmes d'influence, comme Anna Vyroubova, amie et confidente de la tsarine, et Mounia Golovina, nièce de celle-ci. Grâce à d'habiles mises en scène, il se produit à Saint-Pétersbourg ou au Palais impérial de Tsarskoie Selo, la résidence principale du tsar, dans des séances d'exorcisme et de prières. Des récits de débauches, prétendues ou avérées, commencent alors à se multiplier et à faire scandale.

En 1907, le tsarévitch, à la suite de contusions, est victime d'hémorragies internes que les médecins n'arrivent pas à contrôler et qui le font énormément souffrir. Appelé en désespoir de cause, Raspoutine, après avoir béni la famille impériale, entre en prière. Au bout de dix minutes11, épuisé, il se relève en disant : « Ouvre les yeux, mon fils. » Le tsarévitch se réveille en souriant et, dès cet instant, son état s'améliore rapidement.

Dès lors, il devient un familier de Tsarskoie Selo : il est chargé de veiller sur la santé de la famille impériale, ce qui lui donne des entrées permanentes au Palais. Il est reçu officiellement à la Cour. Cependant, malgré la pleine confiance du tsar, il se rend vite très impopulaire auprès de la Cour et du peuple et est rapidement considéré comme leur « mauvais ange ». Il est ainsi tout à la fois aimé, détesté et redouté. On le soupçonne de s'enrichir, ce qui ne semble nullement être le cas, son seul luxe étant de porter une chemise de soie confectionnée par Alexandra et une magnifique croix qu'il porte autour du cou, également offerte par la tsarine.

Il continue par contre toujours à mener une vie dissolue de beuveries et de débauches, conserve cheveux gras et barbe emmêlée16. Il organise des fêtes dans son appartement, où dominent le sexe – jusqu'à dix relations sexuelles par jour14 – et l'alcool. Il prêche sa doctrine de rédemption par le péché parmi ces dames, impatientes d'aller au lit avec lui pour mettre en pratique sa doctrine, ce qu'elles considèrent comme un honneur.

Raspoutine, le major-général Mikhaïl Poutiatine et le colonel Dmitri Loman. Photo de Karl Bulla, vers 1904-1905. Après la révolution de 1905, Raspoutine se heurte au Président du Conseil Piotr Stolypine. Nommé en juillet 1906, réformateur énergique, celui-ci veut moderniser l'Empire russe, en permettant aux paysans d'acquérir des terres, en organisant une meilleure répartition de l'impôt et en accordant à la Douma, le parlement russe, davantage de pouvoirs. Par une répression féroce, il endigue les vagues d'attentats, améliore le système ferroviaire et augmente la production de charbon et de fer. Stolypine ne comprend pas l'influence de ce moujik mystique sur le couple impérial, tandis que Raspoutine reproche au Premier ministre sa morgue, caractéristique de la classe des grands propriétaires terriens dont il était issu.

Lors de l'affaire des Balkans, en 1909, Raspoutine se range dans le parti de la paix aux côtés de la tsarine et d'Anna Vyroubova contre le reste du clan Romanov. Il pense que l'armée impériale est sortie affaiblie de la défaite de 1905 contre le Japon et n'est pas prête à se lancer dans un nouveau conflit. Il ne peut arrêter les événements, mais lorsque la France et le Royaume-Uni interviennent contre la Russie, il réussit à convaincre Nicolas II de ne pas étendre le conflit à toute l'Europe.

Stolypine fait surveiller Raspoutine par l'Okhrana, la police secrète. Les rapports accablent le « starets ». Le scandale Raspoutine éclate en 1910 lors d'une campagne de presse orchestrée par des députés de la Douma et des religieux, qui dénoncent la nature débauchée de Raspoutine, visant indirectement le tsar16. En 1911, Raspoutine est écarté de la Cour et exilé à Kiev, mais, lors d'une transe, il prédit la mort prochaine du ministre : « La mort suit sa trace, la mort chevauche sur son dos ». Il décide alors de partir en pèlerinage vers la Terre sainte, mais revient à la Cour dès la fin de l'été.

Le 14 septembre 1911, alors que Stolypine vient d'autoriser les paysans à quitter le mir, leur permettant ainsi d'accéder à la propriété individuelle de la terre, et que cette réforme est acclamée à travers toute la Russie, le Premier ministre est assassiné par le jeune anarchiste Dmitri Bogrov, à l'Opéra de Kiev, en présence de la famille impériale, des ministres, des membres de la Douma et de Raspoutine. Cet assassinat marque la fin des réformes, alors que la situation internationale devient instable.

Le 2 octobre 1912, le tsarévitch Alexis, en déplacement en Pologne, est victime, à la suite d'un accident, d'une nouvelle hémorragie interne très importante, qui risque d'entraîner sa mort. Aussitôt averti, Raspoutine entre en extase devant l'icône de la Vierge de Kazan, et quand il se relève, épuisé, il expédie au Palais le message : « N'ayez aucune crainte. Dieu a vu vos larmes et entendu vos prières, Mamka17. Ne vous inquiétez plus. Le Petit ne mourra pas. Ne permettez pas aux docteurs de trop l'ennuyer ». Dès la réception du télégramme, l'état de santé du tsarévitch Alexis se stabilise et, dès le lendemain, commence à s'améliorer : l'enflure de sa jambe se résorbe, et l'hémorragie interne s'arrête. Les médecins peuvent bientôt le déclarer hors de danger et même les plus hostiles au « starets » doivent convenir qu'il s'est produit là un événement quasi miraculeux de guérison à distance. Sauveur, il revient triomphalement à Saint-Pétersbourg.

Derrière le démembrement de l'Empire ottoman et la question des Balkans se mettent en place les conditions d'une guerre générale. Raspoutine et ses alliés de la paix freinent la marche de la Russie vers la guerre. Le service du renseignement britannique estime qu'il est en effet en lien avec le banquier Serge Rubinstein et ses réseaux allemands. Le 29 juin, Raspoutine est poignardé par une mendiante, Khionia Gousseva, une ancienne prostituée, au sortir de l'église de son village sibérien. L'enquête démontre que l'ordre est venu du moine Iliodore (de son vrai nom Sergei Mikhailovich Troufanov) qui lui reproche ses croyances khlyst.

Après cet attentat et son rétablissement, l'importance de Raspoutine devient primordiale et son influence s'exerce dans tous les domaines : il intervient dans les carrières des généraux, dans celle des métropolites et même dans la nomination des ministres, mais la peur l'a envahi. Il se met à boire encore plus d'alcool, à participer à encore plus de soirées de débauche et d'orgies dans les cabarets tsiganes11. Il n'est plus le « starets » ascétique que tout le monde respectait. Cependant, malgré son caractère débauché et son aspect de moins en moins engageant, ses conquêtes féminines sont de plus en plus nombreuses dans la haute société.

Le 1er août 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le patriotisme russe s'exalte – surtout en raison des premiers succès militaires – et Raspoutine voit sa faveur décliner. Rapidement cependant, la situation militaire se détériore : hiver rigoureux, manque d'armement, d'approvisionnement, commandement indécis. Décidé à prendre la situation en main, Nicolas II s'installe sur le front, laissant la régence à son épouse et à son conseiller privé, Raspoutine.

Ce dernier se fait alors de plus en plus d'ennemis, en particulier chez les politiques, les militaires et dans le clergé orthodoxe qui, au début, l'a pourtant bien accueilli, mais que son inconduite révolte. Les pires calomnies se répandent en même temps que la guerre tourne au désastre. En 1916, à la Douma, la tsarine, qui est d'origine allemande, et Raspoutine sont ouvertement accusés de faire le jeu de l'ennemi.

L’historien Edvard Radzinsky a pu donner les détails de cet assassinat grâce aux archives de la Commission extraordinaire de 1917 et le dossier secret de la police russe.

La famille Romanov, jalousant les faveurs dont bénéficie Raspoutine, choquée par sa réputation scandaleuse, ses débauches, dans lesquelles des noms de femmes de la haute noblesse sont mêlés, s’oppose de plus en plus ouvertement au « starets ». De plus, en pleine guerre mondiale, le bruit court qu’il espionne au profit de l’Allemagne. Plusieurs complots se trament contre lui.

Une conjuration aboutit à son assassinat dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916 alors qu’il est l’invité du prince Félix Ioussoupov, époux de la grande-duchesse Irina, nièce du tsar. Parmi les principaux conjurés se trouvent le grand-duc Dimitri Pavlovitch, cousin de Nicolas II, le député d’extrême-droite Vladimir Pourichkevitch, l’officier Soukhotine et le docteur Stanislas Lazovert. Ioussoupov, chez qui est commis l’assassinat, en publie, en 1927, le récit détaillé mais quelque peu arrangé.

Le cadavre est retrouvé le 19 décembre 1916 au petit matin. Gelé et recouvert d’une épaisse couche de glace entourant le manteau de castor, le cadavre est remonté à la surface de la Neva au niveau du pont Petrovsky. L’album de photos de police exposé au Musée d’histoire politique de la Russie de Saint-Pétersbourg révèle le visage de Raspoutine défoncé par des coups et son corps transpercé de quatre impacts de balles qui ont traversé le cœur, le cou et le cerveau. L’autopsie, faite le jour même de la découverte du corps à l’Académie militaire par le professeur Kossorotov, révèle que Raspoutine n’est mort ni du poison21, ni des balles, ni des commotions et des coups assénés, mais que la présence d’eau dans les poumons prouverait qu’il respirait encore au moment où on le jeta dans la petite Neva, la Nevka.

Plusieurs personnes ayant eu vent de la nouvelle viendront récolter l’eau dans laquelle Raspoutine avait été trouvé mort : elles espéraient ainsi recueillir un peu de son pouvoir mystérieux.

Raspoutine est inhumé le 3 janvier 1917 – 22 décembre du calendrier russe – dans une chapelle en construction, près du palais de Tsarskoïe Selo.

Au soir du 22 mars, sur ordre du nouveau Gouvernement révolutionnaire, on exhume et brûle le corps de Raspoutine, et on disperse ses cendres dans les forêts environnantes. Mais, selon la légende, seul le cercueil brûla, le corps de Raspoutine restant intact sous les flammes.

Raspoutine aurait prédit à la tsarine : « Je mourrai dans des souffrances atroces. Après ma mort, mon corps n'aura point de repos. Puis tu perdras ta couronne. Toi et ton fils vous serez massacrés ainsi que toute la famille. Après, le déluge terrible passera sur la Russie. Et elle tombera entre les mains du Diable. »

Des journalistes et hommes politiques hostiles à la Maison Romanov ont fait courir la rumeur que Raspoutine fut l'amant de la tsarine14. L’historien Edvard Radzinsky, d'après le dossier secret de police russe acquis chez Sotheby's, relativise l'érotomanie et la débauche sexuelle de Raspoutine : le déflorage de nonnes ou le viol de dames de la haute aristocratie seraient là aussi essentiellement des rumeurs colportées par des personnes inquiètes de son influence sur la Cour ou hostiles au régime monarchique.

Comme il l'avait prédit, son assassinat sera suivi d'événements terribles. Trois mois après la fin de Raspoutine, le tsar Nicolas II dut abdiquer, et quelques jours après[réf. nécessaire], la tombe du « starets » fut profanée par les bolcheviks, son corps brûlé et ses cendres dispersées. La famille impériale fut massacrée dans les caves de la villa Ipatiev, à Iekaterinbourg, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918. La Russie se déchira dans une terrible guerre civile pendant plus de trois ans.

Après 1917, son image a été largement utilisée par la propagande bolchévique pour symboliser la déchéance morale de l'ancien régime. Puis elle fut reprise, déformée, amplifiée, dès 1917, par la littérature puis, à partir de 1928, par le cinéma et la télévision, qui en ont fait l'exploitation à la limite du fantastique et de l'érotisme.

Un pénis momifié de 29 cm, qui serait le sien, est conservé et exposé au Musée de l'érotisme de Saint-Pétersbourg. Selon Secrets d'histoire, présenté par Stéphane Bern, il est très peu probable que celui-ci soit d'origine humaine car, après l'enterrement de Raspoutine, ses restes furent brûlés pour empêcher toute personne de rendre un culte sur sa tombe.

Au cours des années, Raspoutine est finalement devenu un mythe, servant de prétexte à beaucoup de dirigeants politiques russes et européens pour s'exonérer de leurs propres responsabilités dans les événements tragiques survenus en Russie.